Interview #Greentober – Ubisoft Annecy réinvente la marche climat

Par Théo Vignon

A l’occasion du #GREENTOBER, notre mois thématique dédié à la sensibilisation de la filière du jeu vidéo à la problématique de l’impact carbone, nous avons eu le plaisir de poser nos questions à Boris Maniora, Gameplay Director du studio Ubisoft Annecy afin d’en savoir plus sur les enjeux environnementaux des studios de jeux vidéo.

Ubisoft Annecy, qu'est-ce que c'est ?

L’histoire d’Ubisoft Annecy commence en 1996 avec la création du studio et de son premier projet que vous connaissez certainement toutes et tous, Rayman !

Le studio a ensuite collaborer avec plusieurs studios Ubisoft du monde entier, sur des projets tels que le multijoueur de Splinter Cell, sept épisodes d’Assassin’s Creed ou encore Tom Clancy’s The Division.

La dernière sortie du studio en 2021 est Riders Republic, jeu de glisse et de sports extrêmes à l’état pur. Des montagnes enneigées aux canyons arides, explorez librement un immense monde ouvert inspiré des célèbres parcs nationaux américains : Bryce Canyon, Yosemite Valley, Sequoia Park, Zion, Canyonlands, Mammoth Mountain, Grand Teton… tous rassemblés en un seul endroit.

Riders Republic sorti le 28 octobre 2021 est disponible sur Windows, PlayStation 4, PlayStation 5, Stadia, Xbox One, Xbox Series X et Series S.

Boris, peux-tu te présenter ?

Boris ManioraJe suis Boris Maniora, Gameplay Director à Ubisoft Annecy sur le projet Riders Republic sur lequel nous continuons de faire des mises à jour et de sortir des packs téléchargeables pour prolonger la durée de vie du jeu et animer la communauté de joueurs.

Que fais-tu au quotidien en tant que Gameplay Director ?

Boris ManioraJe me charge de tout ce qu’on va demander au joueur de faire avec sa manette dans le jeu donc toutes les phases d’action. Pour l’exemple de Riders Republic, ce sont les types de sports extrême, leurs jouabilités, les émotions qu’on va essayer d’aller trouver chez les joueurs, les valeurs, les piliers (ici, adrénaline, vertige, social et multijoueur). La mise en place de modes de jeu spécifiques, en équipe ou en solo. 

Un de nos modes de jeu phare est la mass race, des courses réunissants jusqu’à 64 joueurs simultanément. 

Et donc en tant que Gameplay Director, je donne la direction et la vision aux équipes ainsi que les grandes tendances pour lancer les sujets et les cadrer. 

C’est quoi pour toi l’impact carbone ?

Boris Maniora : Chez Ubisoft Annecy, nous traitons le sujet de l’impact carbone sur 2 axes. Le premier étant : 

  • La réduction de notre empreinte carbone

Ce qui consiste à réduire nos émissions de CO2 sur l’ensemble de notre activité, cela va de nos déplacements, la façon dont le studio fonctionne, ce qu’on génère et utilise en énergie, etc. Mais également, en utilisant le jeu vidéo comme un média qui entretient une relation avec ses joueurs. 

On traite alors le deuxième axe :

  • L’augmentation du niveau de conscience du public

Cela consiste à faire évoluer les comportements de nos joueurs vers une direction plus intéressante.

Pourquoi cette volonté de sensibiliser le joueur au-delà de sensibiliser les salariés de l’industrie ?

Boris ManioraAu niveau d’Ubisoft nous sommes très conscients de l’impact carbone de notre activité car c’est un sujet qui est déjà bien documenté et précis. A titre personnel, cela fait 2-3 ans que je me renseigne sur ces problématiques et que j’essaye de les inclure dans nos projets. 

 

Nous avons la chance d’être une grande compagnie et sur les plus de 15 000 employés Ubisoft dans le monde, on est plusieurs à vouloir faire évoluer les choses. Ubisoft a donc créé la Ubisoft Green Developers, un groupe de salariés avec lesquels on échange et on participe à des initiatives. Ubisoft a également créé avec d’autres compagnies Playing for the Planet Alliance, il y a quelques années. Ils ont notamment lancé la Green Game Jam, un concours de création de concept à valeur écologique dans les jeux vidéo.

L’année dernière Ubisoft a participé à cette Game Jam avec Riders Republic et 3 autres projets Ubisoft. Cette année nous étions une quinzaine.

C’est prometteur car ce sont souvent des initiatives personnelles et/ou d’équipes qui sont proposées et qui ont auront la chance ensuite, de voir le jour.

Nous pensons que tout le monde est concerné par le sujet et qu’il faut en parler tout le temps, partout et à tout le monde. 

A mon échelle, je me suis posé la question de ce que je pouvais faire et j’ai donc pensé à cette possibilité d’utiliser Riders Republic pour faire passer un message à nos joueurs et joueuses.

Notre public est assez jeune et donc plus éduqué sur le sujet que la moyenne mais il ne sait pas forcément comment agir, comment faire ? 

Nous avons alors discuté avec l’UNEP pour la Green Game Jam afin de trouver comment faire des actions qui permettent de faire bouger les choses. 

On sait que nos joueurs sont en ligne, ont leur activité en ligne et donc au lieu de faire des manifestations, on s’est dit qu’on allait les toucher là où ils sont, directement dans le jeu.

Nous avons donc organisé dans Riders Republic, une marche climat entièrement virtuelle en juillet dernier.

Comment s’est déroulé cet événement ?

Boris Maniora : Pendant 1 semaine, le but était de reforester le monde de Riders Republic. Les joueurs ont alors réalisé des activités pour collecter des sacs de graine dans le but de planter des arbres. A la fin de la semaine, nous avons fait une mise à jour de la carte avec une nouvelle forêt sur la map. 

On voulait jouer sur l’aspect émotionnel et ne pas être sur le purement éducatif. On connaît les vertus de la reforestation mais on voulait vraiment faire vivre une expérience. 

On a utilisé pour cela notre mode multijoueur des mass race. Nos joueurs ont réalisé un tracé toute la semaine sur une partie de la carte n’ayant pas de forêt mais après la mise à jour, le tracé était rempli de végétation. Cela a apporté une expérience de jeu radicalement différente.

Pour célébrer cette nouvelle forêt, nous avons proposé à nos joueurs de participer à une marche climat dans le jeu

Il fallait que ça reste fun car même si c’est un sujet important, on est là pour s’amuser.

Nous avons alors créé un circuit en cercle pour obtenir un effet de masse qui soit visuellement supérieur aux 64 joueurs maximum (pour se rapprocher de l’effet de masse d’une manifestation).

Pour alimenter ce circuit, nous proposions 3 animations à nos joueurs : 

  • Un défi visant à faire le plus de bruit possible grâce à une animation roulement de tambour/mégaphone.
  • Un sac à dos à récupérer par le joueur avec une pancarte symbolisant un message aléatoire à compléter avec d’autres joueurs (Beaucoup de photos ont alors été prises directement dans le jeu).
  • Une combinaison complète d’activiste écologique pour les avatars des joueurs.

Avez-vous mis en place au sein de votre studio d’autres démarches écologiques et/ou des bonnes pratiques responsables ?

Boris Maniora : Au sein du studio nous avons mis en place le tri sélectif, des programmes d’achats de produits locaux et nous nous positionnons sur la question énergétique pour définir quand renouveler notre matériel informatique, le nombre d’écrans, le nombre de pc pour comprendre là où on peut faire des réductions. 

Nous avons également une autre animation de prévue dans le jeu, pour laquelle nous avons notamment gagné le Media Choice Award de la Green Game Jam 2022 avec cette idée. 

L’animation sera sur la sensibilisation aux feux de forêts. Notre carte étant une reproduction de 7 parcs nationaux dans le monde,  2 de ces zones sont régulièrement prises au piège par des feux de forêt tous les ans. 

Nous voulons mettre le joueur dans une situation où un feu de forêt menace son terrain de jeu. Il devra alors mettre un masque à gaz obligatoire et réaliser une activité pour stopper la propagation du feu. 

Qu’est-ce qu’il manque aujourd’hui à l’industrie du jeu vidéo pour entreprendre un tournant écologique ?

Boris Maniora : Je pense que l’éducation est le centre de tout, c’est un sujet qui nous renvoi à l’intime et à nous même. En réalité, l’écologie c’est un travail très personnel. 

Il y a une évolution dans les réglementations, des volontés politiques de plus en plus fortes, des engagements de la part d’entreprises au niveau local et/ou national, mais il faut que l’individu soit prêt à ce changement.

C’est le rôle des entreprises de mettre leurs salariés en situation et de les éduquer sur le sujet pour changer les mentalités.

Qu’est-ce que vous diriez à un confrère du jeu vidéo qui n’a pas conscience de l’impact écologique de notre filière ?

Boris Maniora : Je trouve que dans notre milieu les gens se posent quand même la question, peut-être plus que dans d’autres industries. Je lui dirais qu’il doit se renseigner mais je lui proposerais surtout de l’accompagner plutôt que de le laisser tout seul. Il faut se serrer les coudes car la réponse collective est la meilleure des réponses selon moi.

Comment imaginez-vous la filière du jeu vidéo dans 10 ans ?

Boris Maniora : C’est impossible de prédire ce que sera la filière dans 10 ans mais cela ne dépend que de nous. Il faut se poser la question : quelle est l’industrie qu’on voudrait avoir dans 10 ans ? 

Nous sommes des créateurs de récits alors, quelle est l’histoire qu’on veut laisser à nos enfants ? 

Il y a plusieurs sujets et je n’ai pas pour habitude de prendre le point de vue comptable en regardant les chiffres d’émissions CO2 ou de l’impact carbone. Je préfère ouvrir le débat à beaucoup plus, avec une dimension philosophique et poétique. 

Quelle est notre place en tant qu’humain ? 

Je pense qu’en ouvrant le débat, l’industrie entière du jeu vidéo pourrait trouver une solution pour prendre en main ces sujets et assurer notre avenir.

Un grand merci à Boris Maniora et Ubisoft Annecy pour leur disponibilité, pour plus de témoignages de studios, retrouvez sur notre site les interviews des studios Passtech Games et Souris-Lab