Procès d’Epic Games contre Apple : ce que le verdict va changer pour les studios de jeux vidéo

Par Mathilde Yagoubi

Il y a quelques jours, la juge américaine Yvonne Gonzalez Rodgers a rendu son verdict suite au long procès qui a opposé Epic Games, la maison mère du très célèbre jeu vidéo Fortnite et Apple. Retour sur l’histoire de ce conflit et sur ce que ce verdict va changer pour l’industrie du jeu vidéo.

Pourquoi Epic Games a-t-il attaqué Apple en Justice ?

La genèse du procès remonte au mois d’août 2020, lorsque Epic Games, célèbre éditeur américain du jeu Fortnite, publie une mise à jour du jeu sur la plateforme IOS en offrant, pour la première fois, la possibilité aux joueurs de payer leurs achats intégrés via une autre plateforme que celle fournie sur l’Apple Store par Apple et son système de commissions de 30% sur les achats dits “in app”. Une vraie révolution dans le monde du mobile puisque la réaction d’Apple a été sans appel : Fortnite est retiré des stores IOS en octobre et les joueurs doivent alors passer directement par les services d’Epic pour jouer à Fortnite.

Suite à cette décision d’Apple, les dirigeants d’Epic Games décident alors d’attaquer le géant des GAFA en justice pour contester son monopole sur les paiements “in app” et demandent à ce que les commissions dues à Apple par Epic entre août et octobre 2020, soit 3,6 millions de dollars sur les 12 millions de revenus générés par le jeu en 3 mois, soient tout simplement effacées. Plus loin encore, les avocats d’Epic souhaitent mettre fin au monopole d’Apple sur les paiements in app sur IOS. En effet, depuis l’avènement des applications mobiles, Google et Apple se partagent le marché des paiements directement effectués au sein des applications présentes sur les stores en prenant au passage une commission, sans alternative pour les éditeurs d’applications.

Ce que le verdict va provoquer concrètement dans l’industrie du jeu vidéo ?

Maitre Clara Benyamin rappelle l’importance de commencer par définir les notions importantes du sujet afin de bien comprendre quelles sont les questions en jeu ici.

Tout d’abord, le droit de la concurrence regroupe les lois et principes qui visent à sanctionner les pratiques anticoncurrentielles telles que la concurrence déloyale, l’entente illicite et l’abus de position dominante. Ce pan du droit a pour objectif de garantir une concurrence loyale et l’égalité de chances entre les entreprises.

D’autre part, le procès Epic vs Apple pose également la question de la présumée situation Monopolistique d’Apple: il s’agirait d’une situation de marché dans laquelle un seul vendeur fait face à une multitude d’acheteurs. Dès lors, l’entreprise en situation de monopole exercerait par exemple des prix élevés sur son marché, n’étant pas concurrencée par une autre entreprise, ce qui est néfaste à la libre concurrence.

Enfin, la notion de Marché pertinent est également centrale : Le marché pertinent est le marché à prendre en considération pour apprécier l’incidence d’une pratique et déterminer si une entreprise occupe une position dominante.

En Droit Européen, parmi les éléments pris en compte pour définir les contours d’un marché pertinent, il y a lieu, notamment, de retenir la nature du produit ou du service, l’environnement juridique, les conditions techniques d’utilisation, le coût d’usage ou de mise à disposition et la stratégie des offreurs, ainsi que le comportement des demandeurs.

Pour en revenir au jugement

Après de longs mois de procès, la juge américaine en charge du procès a tranché : Apple doit mettre fin à son monopole et permettre aux développeurs d’applications et de jeux mobile d’envoyer les utilisateurs sur d’autres plateformes de paiement que celle proposée par Apple. Une vraie révolution s’annonce donc dans le monde du gaming sur mobile ! Concrètement, cela veut dire que les éditeurs ne seront plus contraints de payer les 30% de commission sur leurs revenus in app s’ils décident de passer par un service de paiement tiers, développé par eux-mêmes ou par d’autres. Cela augure donc l’arrivée de nouveaux prestataires de services de paiement sur le marché et surtout la baisse du montant des commissions, soit un gain potentiel important à venir dans les prochaines années pour les éditeurs de jeux sur mobile.

Sur l’autre partie de la demande d’Epic, la juge a estimé que les commissions sur les achats intégrés dans le jeu Fortnite, réalisés entre août et octobre 2020, restaient dues à Apple.

À ce jour, ni Apple ni Epic n’ont fait appel de cette décision.

Se pose alors la question de savoir si le jugement va suffisamment loin : d’une certaine mesure oui le jugement va suffisamment loin. Apple a été reconnu coupable de pratique anti concurrentielle et les paiements d’achat « in games » s’ouvrent aux plateformes externalisées. Il s’agit d’un progrès dans le monde des jeux vidéo mobiles.  Malgré tout, la portée de l’arrêt démontre la difficulté de cerner le marché pertinent ainsi que le fonctionnement des grandes plateformes.

En effet, cette définition est pourtant déterminante pour caractériser une situation monopolistique.

En l’espèce aucune des parties n’a été capable pour la Cour de répondre à la question factuelle de savoir si les consommateurs étaient ou non « captifs » de la plateforme d’Apple

En ce sens, un grand nombre de professionnels du secteur du droit reproche à l’arrêt de ne pas aller plus loin et de ne pas clairement définir une situation de monopole dans ce contexte. Plus encore, certains aimeraient ne plus se baser uniquement sur le marché pertinent mais sur l’étude de comportement, notamment monopolistique, que peuvent avoir les géants d’internet. 

Et après ?

Ce qui est intéressant avec ce procès, c’est qu’il crée un précédent qui risque d’entraîner d’autres procès du même genre. D’ailleurs, Epic Games ne s’arrêtera pas là puisque ses dirigeants ont entamé le même type de procédure envers Google pour les paiements in app sur le store Androïd. D’autres procès en cours, comme celui d’Humble Bundle contre Valve (les créateurs de la plateforme de gaming sur PC Steam) risquent d’être influencés par cette décision et donner raison aux développeurs indépendants.

Mais quid si l’affaire avait eu lieu en France ? Il est difficile de se prononcer quant à la similarité des décisions. Néanmoins il est important de noter que le système juridique européen prévoit des critères pour déterminer le marché pertinent. Malgré tout, ce droit se fonde aussi dessus pour caractériser une situation monopolistique et il apparait que cette notion est très difficilement caractérisable. Cela renforce sans nul doute la portée d’une affaire si importante de l’autre côté de l’Atlantique.

Intellectuellement, ces différentes affaires interrogent sur la définition même de “jeu vidéo”. En effet, Apple risque de ne pas s’arrêter à ce verdict, les montants en jeu pour la firme californienne étant colossaux, et le manque à gagner très important. Leurs avocats vont-ils demander d’instaurer une différence de traitement entre les jeux, les expériences et autres applications ? 

Ce qui est certain, c’est que ce verdict dans l’affaire Epic contre Apple crée un précédent dans l’histoire des jeux vidéo et que nous suivrons avec intérêt ce qui en découlera concrètement pour nos studios de jeux vidéo, en France.